Un objectif de santé publique.
Il est à la fois « facile » et « difficile » de définir la santé (health) mentale.
C’est facile au sens de l’O.M.S. : état d’équilibre psychologique parfait par rapport aux contraintes biologiques, informationnelles, symboliques, affectives passées et présentes et permettant la poursuite de projets optimaux selon les désirs du sujet.
Bien entendu, cet état semble inatteignable car utopique comme toute asymptote, mais l’étude des atteintes à cette santé mentale positive permet, sur le plan collectif de tenter de corriger les facteurs négatifs les plus courants. Mais c’est difficile, si l’on considère que les contraintes (stressors) ne sont pas les mêmes pour tous les sujets, pas plus que les facteurs positifs qui permettent de les dominer comme dans le cas des enfants résilients.
De plus, l’histoire de chaque sujet va définir une trajectoire unique et les facteurs qui vont la faire dévier à un moment ou un autre ne sont pas tous prévisibles, même si l’épidémiologie identifie les plus dangereux en général. Dans tous les cas on doit introduire le temps de la vie et la dynamique des changements dans les relations à autrui et à l’environnement
Les maladies mentales qui nécessitent soins et prise en charge et qui traduisent une atteinte élevée de la santé mentale constituent un sous-ensemble bien identifié ; ses causes sont multiples, de la génétique et la biologie à la relation à autrui, psychologique et sociologique. C’est le domaine de la psychiatrie, spécialité médicale avec ses multiples moyens thérapeutiques
La langue française ne dispose pas comme l’anglaise (health et care), de deux mots pour parler de la « santé », ce qui a entraîné historiquement une confusion entre les deux acceptions du mot « santé » au profit de la seule psychiatrie ; c’est dire que l’on a pris le sous-ensemble pour l’ensemble.
Et pourtant, la santé mentale de notre société, au sens large est bien mauvaise ; il suffit de rappeler que le suicide est la seconde cause de mort des 18-25 ans, que les accidents de la route tuent chaque année des milliers de personne, sans parler des incivilités, agressions et violences dans les banlieues, des vols et viols, de la pédophilie, de la perte progressive du concept de « citoyen » sans oublier l’alcool, les drogues douces et dures, les harcèlements sexuels ou dans l’entreprise, les échecs scolaires, le chômage, l’exclusion sociale, la perte d’identité et plus généralement l’anomie ou l’excès de consommation de psychotropes dont les Français sont les premiers consommateurs dans le monde …..
Cette liste n’est pas exhaustive ; on a l’habitude de traiter séparément ces différents troubles, mais en fait, ils relèvent tous d’une politique de santé mentale.
La plupart des pays développés prennent peu à peu conscience de ce problème mais la France ne l’aborde que récemment dans un rapport récent et un plan ministériel.
C’est pourquoi il semble important de rappeler ici les initiatives prises à l’étranger pour en tirer des enseignements pour notre pays.
Expériences étrangères.
Le journal de la WFMH (Fédération Mondiale pour la Santé Mentale) dans son numéro du 3° trimestre 2001, rapporte la nomination au Canada, en Colombie Britannique, d’un « ministre d’état pour la santé mentale ». Dans l’interview, le ministre note qu’il a une tâche de coordination entre les différents ministères, et non avec le seul ministère de la santé, mais aussi dans les domaines de l’assistance sociale, l’éducation, les services d’aide à l’enfance, les systèmes de renforcement de la loi, et « tous les secteurs où est identifié un composant de la santé mentale ». Il espère diminuer les stigmates associés aux maladies mentales et souhaite que cette expérience débouche sur des actions analogues dans d’autres provinces canadiennes et dans le monde. Il est aussi chargé des services de médecine communautaire et met un accent particulier sur les services destinés aux enfants et aux jeunes ; il développe aussi une stratégie vis à vis de la dépression.
En éducation sanitaire, il conseille à chacun de garder du temps pour prendre soin de son corps et de son esprit ; « la marche du monde, aujourd’hui peut avoir un effet vraiment négatif sur nos corps si nous n’y prenons pas garde, nous-mêmes ». Nous devons essayer d’avoir « une attitude positive ». Dans la même page, le journal cite des effets de stress traumatiques après les attentats de New York. La LFSM participe par certains de ses membres à des expériences de prise en charge de ce problème, lors de catastrophes et accidents multiples.
Dans son numéro du 4° trimestre 2001, la présidente de la WFMH, Madame Pirkko Lahti, Finlandaise, souligne que des recherches récentes en Finlande indiquent qu’une personne qui a expérimenté l’injustice au cours de sa vie, est plus susceptible qu’une autre de développer une maladie mentale, que ce soit dans l’enfance, dans le foyer familial, à l’école, au cours du mariage, au travail, au niveau gouvernemental, aussi bien. « Le choc est tel que cette expérience peut affecter certains si fortement que la balance de leur personnalité peut basculer vers la maladie ». La justice est particulièrement importante pour l’enfant ; nous devons y veiller par nos comportements et par l’environnement ; cela signifie une sécurité à la fois économique, sociale et psychologique. L’avenir de l’humanité dépend de cette façon d’élever les enfants, à travers les différences ethniques et culturelles.
Ces exemples pourraient être multipliés à l’infini ; le Canada, déjà cité a beaucoup fait pour la santé mentale, en particulier au Québec, dans la prise en charge des enfants des rues, ou par la prise en charge psychologique des pédophiles, ou encore la vérification, par des pairs élus, des motivations des personnes désirant s’engager dans un métier sans se fourvoyer.Les institutions en France qui s’occupent d’enfants (associations sportives, colonies de vacances, enseignement, religions etc.) commencent seulement à prendre conscience de ces problèmes
Il est impossible, encore une fois, de dresser un catalogue de mesures pour prendre exhaustivement en charge la santé mentale d’une population.
Mais il est possible de trouver d’innombrables pistes d’amélioration de celle-ci et de prévention, en se posant quelques questions simples :
Pour un politique : « Quelles pourraient être les effets délétères pour la santé mentale de la population de telle loi que j’envisage de promouvoir; quels sont les effets négatifs de l’organisation actuelle de la société ? »
Pour un policier ou un juge d’instruction : »En quoi mon action risque-t-elle d’être vécue comme un abus de pouvoir par celui que j’interroge ? »
Pour un chef d’entreprise : »En quoi l’organisation du service des ressources humaines est-il compatible avec la justice et le sentiment d’identité des employés ? »
Pour un enseignant : »Suis-je juste avec mes élèves, y-a-t-il un phénomène d’exclusion ou de bouc émissaire dans ma classe ; pourquoi les performances de tel ou tel élève chutent-elles depuis quelques mois ? »
Pour un citoyen : »Pourquoi ai-je peur d’un autre citoyen d’une ethnie différente ? »
C’est seulement la prise de conscience de tous ces phénomènes, appuyées par des recherches quantifiées épidémiologiques qui peut changer les choses ; c’est donc un problème majeur d’éducation en général et d’éducation sanitaire du public en particulier, ce à quoi s’efforce la LFSM depuis sa création.
A cela, il faut ajouter que si nous avons distingué la psychiatrie (avec les prises en charge complexes des malades mentaux) de la santé mentale de la population générale, il faut souligner, que dans celle-ci, 22 à 25% de la population présente une maladie mentale invalidante (c’est à dire avec arrêt de travail ou de scolarité) au cours de son existence.
Il est impossible, dans ces conditions, de mener une politique psychiatrique de santé publique sans qu’elle soit incluse dans un programme de politique de santé mentale publique au sens large. Ce continuum est indispensable.
Projet d’un travail de prévention en santé mentale sur le plan individuel et collectif
Un travail sur la santé mentale de la population nécessite que son champ soit très précisément défini, qu’il soit circonscrit dans un lieu déterminé. Il a une visée pragmatique dans un axe de prévention se différenciant ainsi des discours idéologiques – le bonheur, le bien-être -. Une mission de prévention ne peut se développer que dans un cadre régional ou local où les forces nécessaires à son développement seront réunies ; c’est à dire à partir des délégations régionales de la LFSM (voir ci dessus).
Ce travail doit se saisir des problèmes concrets et dominants propres à la région choisie. Ce choix doit rencontrer un consensus venant de la population et des élus. Il doit être replacé, d’une manière simple, dans le contexte historique politique et social de la région considérée – anthropologie historique et sociale – dont la compréhension sera accessible à tous. Exemple : violence, criminalité, échecs scolaires, suicides, consommation médicamenteuse, accidents de la route, tabagisme, vieillissement, etc.
Les données concernant la santé mentale de la population sont dispersées dans des organismes différents, publics ou privés, d’où un travail obligatoire de partenariat et de relevé de données afin de définir le projet et les moyens nécessaires, avant toute action sur le terrain.
Le but principal de cette mission est une sensibilisation, une responsabilisation citoyenne des individus et des groupes spécifiques dans un but préventif.
Moyens envisagés
Une dynamique de sensibilisation ne passe pas uniquement par l’information, certes nécessaire mais insuffisante, mais aussi par une mise en situation des individus et des groupes pour qu’ils soient capables, eux-mêmes de se saisir des problèmes et d’élaborer des solutions.
Une preuve tangible a été apportée par les ETATS GENERAUX DE LA SANTE, en 1999 avec ses jurys citoyens.
De ce fait, les FORUMS CITOYENS apparaissent comme une formule à retenir sur des thèmes ciblés en rapport avec les intérêts de la région.
Toute une série d’autres moyens peut être envisagée en fonction des situations et possibilités : colloques, sessions de formation ciblées, information sur la psychologie des individus et des groupes, présentation d’actions concrètes de prévention etc…
L’information et la formation des élus et des responsables de santé mentale doivent être particulièrement étudiées.
Une attention particulière doit être portée aux programmes européens afin de trouver une adéquation avec eux.
Docteurs Bernard Jolivet (ex administrateur de LFSM, président d'honneur de la Fédération des Associations CROIX-MARINE devenue SANTE MENTALE FRANCE) et Claude Leroy (président d'honneur de LFSM)